Lave ma mémoire sale dans son fleuve de boue

   Hier, c’était l’enterrement de mon arrière-grand-mère. C’était triste. De voir les gens tristes, ça me rendait encore plus triste. Au départ, dans la chambre mortuaire, je me suis dit que ça allait, j’allais pouvoir tenir le coup, ce serait moins dur que pour l’enterrement de ma grand-mère. Parce que, même si j’étais attachée à  mon arrière-grand-mère, j’étais moins proche d’elle que ne l’étaient ses petits-enfants et encore moins ses enfants. La douleur est présente, mais en intensité moindre.

   Sauf que ça ne se passe pas comme ça. J’aurais dû m’en douter, étant sensible. Ça n’a pas raté… Dès qu’il a fallu lui dire au revoir, avant qu’ils ne referment le cercueil, les larmes des uns et des autres ont commencé à couler. Les miennes avec, cela va sans dire. J’avais de la peine pour elle, pour le reste de la famille.

   Et à l’église, c’était pareil. Je ne sais pas comment ils font, les messes sont toujours tristes, même si porteuses d’un espoir. C’est paradoxal. Ça a été très dur de se retenir, d’ailleurs je n’ai pas vraiment réussi. Voir tout le monde autour de moi dans le même état de tristesse ne m’a pas aidé à me dire qu’elle devait être bien là où elle était. Elle a bien vécu, elle approchait des 100 ans, était depuis plusieurs années en maison de retraite et, même si elle avait plus ou moins toute sa tête, les souvenirs s’estompaient doucement mais sûrement. Elle restait toutefois assez alerte. On s’y attendait à son décès, elle était entrée depuis peu en soins palliatifs. Il n’empêche que quand ça arrive, ça fait toujours mal.

   Et puis il y eu aussi elle qui est venue. Et ça, ça a été le trop-plein… C’était dur, très dur. Comment fait-elle ? Je ne l’ai vue que lorsqu’elle est venue bénir le cercueil et poser une dernière fois sa main dessus. J’ai eu envie de lui dire tellement de choses…Tu ne l’avais pas vue depuis combien de temps ta grand-mère? Tu es venue lui dire au revoir une dernière fois pendant ses ultimes jours ? Tu es venue lui rendre hommage à la maison mortuaire ? Partager ta souffrance avec la famille ? Parce que tu souffres, je ne peux pas penser le contraire. C’est ta grand-mère bon sang ! Et toi, au lieu de ça, tu arrives à l’église, sûrement en retard pour ne pas qu’on puisse te parler, tu ne communies pas, tu ne lis pas de texte, tu ne joues pas de l’orgue, tu ne portes pas de cierge. Tu viens simplement lui dire adieu brièvement. Et tu pars. Je mourrais d’envie de me lever lorsque je t’ai vue. Venir te parler. Juste te parler. Après tant d’années. Pourquoi tout cela? Ça rend tout le monde malheureux… Je m’en fiche de tout ce qui s’est passé, je n’ai qu’une envie, pouvoir vous voir de temps en temps. Avec les enfants. Tant de souffrance accumulée des deux côtés, pourquoi continuer ainsi ?

Et comment tu feras lorsque ce seront tes parents qui seront partis ?

Je suis fatiguée…